Le droit à un environnement sain : un défi pour l’industrie et la société
Face à l’urgence climatique, le droit à un environnement sain s’impose comme un impératif juridique et moral. Comment concilier ce droit fondamental avec les intérêts économiques des industries polluantes ? Analyse des enjeux et des solutions.
L’émergence du droit à un environnement sain
Le droit à un environnement sain s’est progressivement imposé comme un droit fondamental au niveau international et national. La Déclaration de Stockholm de 1972 a posé les bases de ce concept, affirmant que l’homme a un droit fondamental à « des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être ». Depuis, de nombreux textes internationaux ont réaffirmé ce principe, comme la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (1981) ou la Convention d’Aarhus (1998).
En France, le droit à un environnement sain a acquis une valeur constitutionnelle avec la Charte de l’environnement de 2004, intégrée au bloc de constitutionnalité. L’article 1er de cette charte dispose que « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Cette reconnaissance au plus haut niveau de la hiérarchie des normes témoigne de l’importance accordée à ce droit fondamental.
Les défis de la régulation des industries polluantes
La mise en œuvre effective du droit à un environnement sain se heurte à de nombreux obstacles, notamment la résistance des industries polluantes. Ces dernières invoquent souvent des arguments économiques pour s’opposer à une régulation plus stricte de leurs activités. Le défi pour les pouvoirs publics est donc de trouver un équilibre entre la protection de l’environnement et le maintien de la compétitivité économique.
Plusieurs outils juridiques ont été développés pour réguler les activités polluantes. Le principe du pollueur-payeur, consacré par la loi Barnier de 1995, impose aux entreprises de prendre en charge les coûts de prévention et de réparation des dommages environnementaux qu’elles causent. La responsabilité environnementale des entreprises a été renforcée par la loi du 1er août 2008, qui transpose la directive européenne de 2004 sur le même sujet.
Le droit pénal de l’environnement s’est également développé, avec la création de nouvelles infractions comme le délit de pollution des eaux (article L. 216-6 du Code de l’environnement) ou le délit d’atteinte à la conservation d’espèces animales non domestiques (article L. 415-3 du même code). La loi du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen a créé un délit général de pollution, punissant de 5 ans d’emprisonnement et 1 million d’euros d’amende le fait de provoquer une pollution de l’air, des eaux ou des sols.
Les instruments économiques de la régulation environnementale
Au-delà des outils juridiques classiques, des instruments économiques ont été mis en place pour inciter les entreprises à réduire leur impact environnemental. Le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, instauré au niveau européen en 2005, vise à créer un marché du carbone pour encourager les entreprises à réduire leurs émissions. Ce système a connu des difficultés initiales, notamment un prix du carbone trop bas pour être réellement incitatif, mais des réformes successives ont permis d’améliorer son efficacité.
La fiscalité environnementale constitue un autre levier d’action important. En France, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) s’applique à diverses activités comme le stockage et l’incinération des déchets, l’émission de substances polluantes dans l’atmosphère ou l’utilisation de lubrifiants susceptibles de produire des huiles usagées. La contribution climat-énergie, intégrée aux taxes intérieures de consommation sur les produits énergétiques, vise à donner un prix au carbone pour encourager la transition énergétique.
Vers une responsabilisation accrue des entreprises
La prise en compte des enjeux environnementaux par les entreprises ne se limite plus à la simple conformité réglementaire. On assiste à l’émergence d’une véritable responsabilité sociétale des entreprises (RSE) en matière environnementale. La loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre impose aux grandes entreprises d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance, incluant les risques environnementaux liés à leurs activités et à celles de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs.
La loi Pacte du 22 mai 2019 a introduit la notion de « raison d’être » dans le Code civil, permettant aux entreprises d’inscrire dans leurs statuts des objectifs sociaux et environnementaux. Elle a également créé le statut de « société à mission », pour les entreprises qui se donnent statutairement une finalité d’ordre social ou environnemental en plus du but lucratif.
Ces évolutions témoignent d’une prise de conscience croissante du rôle que les entreprises peuvent et doivent jouer dans la protection de l’environnement. Elles s’inscrivent dans une tendance plus large de « compliance environnementale », où les entreprises sont encouragées à aller au-delà du simple respect de la réglementation pour adopter une démarche proactive de protection de l’environnement.
Les perspectives d’évolution du droit de l’environnement
Le droit de l’environnement est en constante évolution pour répondre aux défis écologiques contemporains. Plusieurs pistes sont actuellement explorées pour renforcer l’effectivité du droit à un environnement sain. La reconnaissance d’un crime d’écocide au niveau international fait l’objet de débats intenses. En France, la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique a introduit un délit d’écocide dans le Code de l’environnement, punissant les atteintes graves et durables à l’environnement.
La question de la personnalité juridique de la nature émerge également dans certains pays. En Nouvelle-Zélande, le fleuve Whanganui s’est vu reconnaître la personnalité juridique en 2017, une première mondiale. Cette approche, qui s’inspire des conceptions autochtones de la nature, pourrait offrir de nouvelles perspectives pour la protection de l’environnement.
Enfin, le développement du contentieux climatique ouvre de nouvelles voies pour faire respecter le droit à un environnement sain. L’affaire « Grande-Synthe », dans laquelle le Conseil d’État a enjoint au gouvernement français de prendre des mesures supplémentaires pour atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, illustre le rôle croissant du juge dans la mise en œuvre des politiques environnementales.
Le droit à un environnement sain s’affirme comme un pilier fondamental de notre ordre juridique. Sa mise en œuvre effective nécessite une régulation adaptée des industries polluantes, combinant outils juridiques traditionnels et instruments économiques innovants. L’implication croissante des entreprises dans la protection de l’environnement, au-delà de la simple conformité réglementaire, ouvre des perspectives prometteuses. Les évolutions futures du droit de l’environnement devront relever le défi de concilier impératifs écologiques et réalités économiques, dans l’intérêt des générations présentes et futures.
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